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mardi 8 janvier 2013

Un pardon coupable 1/2

Un pays comme Belgangle est à la croisée des chemins. Son histoire tortueuse ne l'a jamais exemptée des influences positives continentales. Quand les pires rébellions mettaient la nation à feu et à sang, il se trouvait toujours un politique illuminé pour obtenir une avancée sociale. Sur le modèle d'autres pays européens, Belgangle a développé une véritable économie étatique. Seul bémol, tout se faisait exclusivement au profit de la couronne britannique. Certainement après la Seconde Guerre Mondiale. L'adage "diviser pour mieux régner" prenait encore une fois tout son sens. Libre-Indépendance devait alors mener une contre-insurrection particulièrement féroce: pour construire un rêve, il fallait tout détruire, ôter le pain de la bouche d'une population achetée à bas prix. "Tant qu'il n'y aura pas de files devant les boulangeries, personne ne bougera le petit doigt", répétait souvent Harry. Une maigre motivation pour ses hommes, affamés et effrayés. Nombreux sont ceux qui ont cédé à l'appel d'une existence moins pénible. Ni Harry ni ses lieutenants ne leur en voulaient, mais à la première occasion, ils passaient du statut de transfuge à celui de victime du terrorisme. Jusqu'à ce que, par expérience, la police d'état cesse de faire la publicité d'un énième abandon de poste. Convaincu de la première heure comme simple messager inconscient, tout contestataire devenait de facto coupable et hors-la-loi.

Quelques décennies plus tard, si les fusils ont été gentiment rangés au placard, il n'en reste pas moins une profonde fracture de la société. Une autre forme de misère est apparue. Tous les soirs, il suffit de jeter un oeil dans la rue pour la contempler ou l'ignorer pudiquement. Et avec l'instabilité financière, l'incapacité d'une classe politique devait forcément aboutir à plus de précarité encore. Ces hommes et femmes qui, un jour vivotaient grâce à un petit boulot. Regardez le lendemain, quémander une pièce à genou. Le froid et la dureté des pavés? Un moindre mal, ces quelques centimes chichement concédés le font vite oublier. A peine. Une soirée de calme, dans la pénombre, ils ingurgitent vite une bouteille de vodka frelatée, au mieux. Puis ils s'endorment au gré des patrouilles policières. Tandis que le reste de l'Europe constate péniblement une hausse du taux de chômage, ces abrutis perdus emplissent les rues belgangliennes. Ici il n'y a pas de touristes, personne pour qui nettoyer les rues. Pas même le soir de la Saint-Sylvestre.

La foule se presse au pied de ce qui fut, jadis, le siège des services de renseignement britanniques. Un lieu de triste mémoire, aussi splendide que hanté par les dix mille âmes. Arrachées à leur corps sans ménagement aucun. Pas ce soir. Ce soir la population oublie la peur du lendemain, elle chante, dans et fête l'an neuf. A quelques centaines de mètres, un cordon de police barre la route. Voila plus d'une semaine que les évènements ont précipité ce coin de la capitale au coeur de l'actualité. Après les prélèvements d'une police scientifique à cours de moyens, c'est une société chargée de faire disparaître les traces de la fusillade qui a envahi les lieux. Puis, la veille du réveillon, un dispositif policier.

Mauvaise affaire. Les services sociaux chargés de recueillir les malheureux n'a pas eu d'autre choix que de fermer. Plus de file au coin de la rue. Quant aux mendiants, sans papiers, sans abris, alcooliques, drogués et autres familles nécessiteuses, chacun sa merde. Les riverains? Relogés dans des hôtels miteux  pour moitié à leurs frais. Austérité oblige. Sauf un, John. L'accès empêché au studio de veille est une mauvaise affaire. Double. Tant parce qu'en cas de fouille, improbable mais toujours possible, les forces de l'ordre n'auraient aucune difficulté à remonter jusqu'à lui. Ou à l'un de ses camarades. Ensuite car pour se débarrasser des preuves potentielles, il allait devoir faire jouer quelques relations. Ce qui n'est jamais une mauvaise nouvelle en soi, si le mouvement connait sa responsabilité. En l'occurrence, tout est question d'apparence. Demander quelque grâce à tel ou tel officier de police éveillerait inévitablement sa curiosité, un brin de soupçon suffisant si l'énergumène ne savait pas se taire avec un verre dans le nez. Tant pis. L'homme qui connait l'homme n'avait besoin que de quelques heures pour entrer en contact avec la femme d'un agent, qui remonterait l'information plus haut, toucherait le supérieur de son supérieur. Lequel ne perdrait pas de temps, en principe, à prévenir tel ou tel service du passage de deux tireurs d'élite chargés d'analyser la scène du crime. On pense qu'un tireur a pu se réfugier à l'étage et faire un carton depuis une fenêtre. D'où vient le tuyau? Un indic' en mal d'héroïne s'est fait tirer les vers du nez par un jeune policier prometteur, et puis cela ne coûte rien d'aller voir. Sur le coup de vingt heures, deux individus franchissent le barrage. Peu après la relève du piquet de garde. Derrière eux les véhicules continuent inlassablement d'être déviés vers une voie parallèle.

Tout va pour le mieux. John a prévenu ses gars de prendre leur temps pour nettoyer le studio. Ils disposent de quatre heures avant la relève suivante. Un calepin en main ils entrent dans le bâtiment. Il porte les stigmates d'une bataille rangée, quelques gouttes de sang oubliées rappellent que des hommes sont morts. Sept, quatre blessés. La folie de la situation avait suffit à justifier que deux tireurs émérites se déplacent un soir de fête. De toute manière, ils étaient de garde à la caserne s'était cru obligé de préciser l'un des deux au type de faction. La porte ouverte, ils s'engouffrent dans la cage d'escalier.

Un pressentiment horrible.

John se souvient. Peu après avoir évacué le studio, ne sachant tout emporter avec lui, il avait dû abandonner un portable sous une planche de parquet. Sage précaution, si les services de police avaient eu le nez creux, s'ils étaient montés et avaient enfoncé la porte, ils auraient découvert quelques armes. Inutilisées, les analyses balistiques l'auraient révélé. Par contre les gros titres du lendemain étaient tout faits. Une cache d'armes, situé opportunément juste au-dessus de la scène d'une pièce tragique. Parfait pour l'enquête. Ces armes là n'y sont pour rien? Les tireurs ont emporté celles qu'ils ont employé. Peut-être s'agissait-il de trafiquants? Que non, le studio appartient à un mort. Qui? Un ancien comptable, fils d'un autre comptable d'ailleurs. Découverte de poids, ce gus là était proche de Libre-Indépendance. Des fils se touchent, ce n'est pas la première fois que les reliques du mouvement apparaissent dans telle ou telle enquête. Et pour cause, combien d'armes perdues ont fini sur le marché noir, vendues pour trois fois rien au truand de passage. Combien de familles n'ont pas eu, à un moment, quelque membre sympathisant de l'ancien réseau contestataire.

Non seulement John a 'oublié' ce portable mais il a également omis de prévenir ses hommes. Ils ne le chercheront pas, ne le trouveront pas. Deux heures passent. Les réseaux mobiles sont saturés, il n'a pas d'autre choix que de se rendre sur place et de tenter l'invraisemblable. Muni de quelques bouteilles de mousseux et d'une bûche glacée, il apparaît joyeux au barrage de police. Il ne passera pas, ce n'est pas son intention. Il doit juste faire assez de bruit pour attirer l'attention des deux nettoyeurs, à cent mètres de là. Fenêtres ouvertes, on devine des ombres affairées. Pour donner le change, l'un des deux sort à intervalle régulier et parcourt la rue, annotant un carnet d'illusoires mesures. Dix minutes s'écoulent, John sent la patience des gardiens s’éroder. L'esclandre n'en sera que plus réaliste, mais il ne peut pas finir la nuit au poste. Finement, il décide d'ouvrir une bouteille qui, par malchance, projette son liquide pétillant sur l'un des policiers. Il gueule, maudit un dieu pour l'avoir mis de service ce soir, franchit la barrière. Quelques collègues accourent. Inutile, il gère. Gagné! Une tête pointe du troisième étage, John se redresse et crie de peur à la vue de l'agent qui s'approche. Devant comme derrière la barrière, des visages amusés regardent le pauvre fêtard faire dans son pantalon. L'un d'eux n'est pas rassuré. Son regard inquiet trahit ses intentions, sans un mot il saisit la boîte en carton - trempée par la glace fondue - et s'en retourne à sa tâche. Cinq mètres plus loin, il joue son acte. La boîte dégoulinante finit dans la poubelle, deux agents rient de sa maladresse. Ils ne l'ont pas vu tirer un petit bout de papier du carton.

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