Troisième journée de pluie. Le déluge ne s'arrête pas. Insidieuse pluie qui ne force pas à s'abriter mais qui trempe jusqu'aux os. Devant le vaste bâtiment, deux motos. Un scooter s'approche, à fond, il passe de justesse entre deux poteaux. L'un d'eux est penché, sans doute heurté par un livreur maladroit. Ou était-ce une fois de plus un incivique pressé de se parquer. La machine décrit une large courbe, s'arrête. Un petit bonhomme en descend rapidement. Trois mètres plus loin, il ne l'a pas vue, une infographiste le salue. Il répond sans respect, distraitement puis se propulse à toute vitesse à l'intérieur. Des gouttes perlent sur sa veste et vont s'écraser au sol, ses chaussures couinent. Il ne fait pas d'écart, répond en silence à l'accueil du téléphoniste. Son badge lui ouvre toutes les portes. A grandes enjambées il gagne un bureau de stagiaire. S'arrêtant à peine pour gratifier d'un bonjour inaudible le pigiste préposé aux affaires bruxelloise. C'est dimanche, merde, pas besoin d'être de bonne humeur. Pas de raison non plus. Une fois encore, personne n'a pris la peine d'éteindre l'ordinateur. Pire, cette stagiaire s'est contenté de laissé le PC partir en veille, sans quitter sa session. Foutue paresseuse, toujours prête à déguerpir de la rédaction à toute vitesse. Peu importe.
Petit à petit d'autres arrivent dans l'indifférence générale. La disposition des lieux ne se prête pas aux effusions de toute façon. Il s'assied, ouvre les programmes habituels. Twitter ne raconte rien de beau, Facebook est morne comme à son habitude. Un papier vite rédigé pour faire de la publicité à ses écrits puis il se plonge dans les dépêches d'agence. Pas d'information, l'abécédaire des journées types. Quelques études et l'une ou l'autre idiotie. Souvent des communiqués, que faire d'eux? La place dans le journal manquera quoi qu'il arrive. Et ailleurs? Même rengaine: morts, attentats, procès, scandaleuses déclarations des pontes du monde. Rien ne méritera une ligne, à moins qu'il y ait assez de victimes.
Pas un bruit, quelques cliquetis de clavier de temps en temps, pas davantage. Il s'endort devant un écran sans vie. Quand un cri retenti, ambiance foot dans le coin des sportifs. Tant mieux pour eux, ils auront quelque chose à analyser et à écrire. Sans passion il s'intéresse au match une poignée de minutes avant de s'en retourner aux agences. Ah! Une alerte.
Cinq cadavres découverts dans une déchargePas de quoi en faire un plat. La réunion de rédaction va débuter, tardivement comme de coutume. Le sujet est abordé. Cinq morts, pas mal, une brève. Le site 365j parle de SDF, les victimes seraient de pauvres malheureux. Sordide. Toujours pas de quoi en faire un plat. Un spécialiste des faits divers suivra le fil d'actualité, au cas où. Plus loin les sportifs vivent le match. Un journal virevolte et vient frapper la tête d'un fan, l'occasion n'a pas été concrétisée. Dommage, il parait que l'on gagne des matchs parfois. Le jeune journaliste se demande si ...
Belgang 23/12 (Infobe)
Cinq cadavres ont été découverts dans un décharge situé à quelques kilomètres de Belgang, la capitale insulaire. Le parquet s'est rendu sur place mais pour l'heure aucune déclaration n'a été faite. Selon les dires de quelques témoins sur place, c'est le gérant du dépôt d'immondices qui a prévenu la police. Une heure plus tard la zone était bouclée par un dispositif policier imposant. (FH)
Les premières fouilles mettent un charnier au jourL'excitation grandit dans la salle. Douze morts! Une page. Ce n'est pas loin et c'est bizarre, des mendiants? Autant au même endroit, c'est plus qu'un règlement de compte. Déjà des titres évocateurs font leur apparition: "Crimes sordides dans les bas-fonds", "Des mendiants massacrés", "L'horreur sans nom après la découverte d'un charnier". Des informations imprécises aussi, ils auraient été exécuté à la hache, ou juste refroidis par balle. Des morts dont personne ne se serait soucié s'ils n'avaient été aussi nombreux. On va faire gros, deux pages peut-être. Il faut retrouver des cas similaires, il n'y en a pas, pas avec autant de victimes. Qu'à cela ne tienne, allons chercher les règlements de comptes entre ivrognes. Les télévisions diffusent des images qu'on croirait datées de Srebrenica. La crasse, la puanteur envahit les esprits. Entre deux grillages recouverts de draps, pour empêcher la vue, la brise arrache les colsons, dévoilant un corps étendu à peine recouvert d'une bâche blanche. Son bras est retourné, désarticulé sur le sol. Un peu à l'écart quatre ou cinq experts de la police scientifique examinent ce qui ressemble à un tas de sacs poubelle. Non, ce sont des corps entremêlés. Un policier se hâte et attache les draps, les caméras ne peuvent plus transmettre l'ampleur de la folie.
Belgang 23/12 (Infobe)
Une douzaine de cadavres auraient été découverts dans une décharge, près de Belgang. Le périmètre des recherches a été étendu et de nouveaux fourgons sont arrivés sur les lieux. Le procureur de la République doit faire une déclaration vers 16h, heure locale.
Selon plusieurs sources concordantes il s'agirait de mendiants provenant de la capitale. La police se refuse toujours à tout commentaire.
Dans le bureau, on se tait. On n'y croit pas tout en souriant, voila que la journée est gagnée. Un fait divers comme les gens les aiment. Deux pages ne seront finalement pas de trop.
"Tôt ce matin, le gestionnaire de la décharge à fait appel à nos services. Il était en train de déverser des immondices lorsqu'il a aperçu un corps. Il a immédiatement prévenu la police puis a évacué son camion des lieux. Ce faisant, il s'est rendu compte que la terre avait été retournée et qu'une demi douzaine de corps dépassaient. Pour l'heure les causes de la mort sont inconnues, de même que l'identité des victimes. Aucune piste n'est privilégiée mais nous pensons qu'il s'agit du dépôt d'un tueur en série, nous faisons donc appel à toute personne qui aurait été témoin de faits étranges aux abords de la décharge.
S'agit-il de mendiants?
Je sais que des informations circulent à ce propos. Je ne peux rien confirmer vu l'état des corps."
Sale affaire pour ce petit coin de campagne. Le fait est que, selon un photographe d'agence arrivé tôt sur place, l'un des cadavres est celui d'un ancien chef d'entreprise. Il l'avait rencontré alors que l'homme venait de tout perdre et se battait avec l'administration pour obtenir de nouveaux papiers d'identité. Les anciens lui avaient été volé lors de sa seconde nuit dans la rue. Aux télévisions le photojournaliste s'était empressé de raconter que l'homme était méconnaissable, gonflé et bleu. Ce n'est que parce qu'il l'avait suivi durant deux jours dans ses pérégrinations administratives qu'il l'avait reconnu.
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